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L’interdiction de licencier un père de famille durant sa période de protection

Par un arrêt publié au Bulletin en date du 27 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu une décision afférente au licenciement d’un salarié peu après la naissance de son enfant.

En l’espèce, le salarié avait été embauché en qualité de responsable commercial.

Son employeur l’a licencié pour cause réelle et sérieuse le 24 janvier 2018, soit, précisément, deux semaines après la naissance de son enfant le 10 janvier 2018.

Le salarié licencié a saisi le Conseil de prud’hommes, estimant que son licenciement était nul en application de l’article L. 1225-4-1 du Code du travail, lequel dispose, pour mémoire :

« Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant.

Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant ».

N’ayant pas invoqué de faute grave, l’employeur a tenté d’exposer aux juges du fond que les manquements professionnels objectifs de son employé, incompatibles avec ses fonctions, étaient tels que le maintien du contrat de travail était impossible.

Sans surprise, cet argumentaire n’a pas convaincu les juges du fond.

La Cour d’appel a condamné l’employeur à payer au salarié diverses sommes à titre de complément d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, de rappel d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul.

La Cour de cassation a par la suite rejeté le pourvoi dont l’avait saisie l’employeur à l’encontre de cet arrêt.

Tout en rappelant les termes précités de l’article L. 1225-4-1 du Code du travail, la Cour de cassation a jugé que, dès lors que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement ne caractérisaient pas l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, la Cour d’appel avait légalement justifié sa décision.

Cette décision, même si elle est inédite au cas particulier du père de famille, n’en demeure pas moins fort peu surprenante.

En effet, d’une part, l’employeur n’avait manifestement pas invoqué dans la lettre de licenciement l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, ce qui entrainait de facto la nullité de sa décision.

A supposer que l’employeur puisse réellement invoquer une impossibilité de maintenir le contrat de travail, il est regrettable de méconnaitre les exigences jurisprudentielles en termes de formalisme, les juges étant particulièrement sévères s’agissant de salariés licenciés durant une période de protection légale.

En pratique, il sera donc indispensable d’apporter le plus grand soin à la rédaction d’une lettre de licenciement pour un tel motif.

D’autre part, la décision de la Cour de cassation s’inscrit pleinement dans la lignée de sa jurisprudence s’agissant de la rupture du contrat de travail de femmes enceintes ou venant d’accoucher.

En effet, la Cour de cassation juge que l’impossibilité de maintenir le contrat de travail durant la période de protection liée à la grossesse ne se résume pas à la seule insuffisance professionnelle de la salariée, à l’invocation d’un motif économique, aussi justifié soit-il, ou encore à l’inaptitude physique d’un salarié avec impossibilité de reclassement.

En réalité, l’impossibilité de maintenir le contrat de travail n’est admise que dans de trop rares hypothèses, comme celle de la cessation totale de l’activité de l’entreprise.

Dans ces conditions, l’employeur ne pouvait invoquer de simples manquements professionnels à l’encontre d’un père de famille pour justifier la rupture de son contrat de travail deux semaines après la naissance de son enfant.

En conclusion, et sous réserve des règles de prescription, il est recommandé à l’employeur de respecter, en pareilles circonstances, l’adage aux termes duquel « il est urgent d’attendre ».

Article rédigé par notre Département Droit Social