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État des lieux sur le régime applicable au sein d’une SARL « quasi-égalitaire »

Lorsqu’un conflit entre associés co-gérants d’une SARL familiale permet de faire le point sur un certain nombre de règles applicables à cette forme de société.

Par un arrêt de rejet rendu le 31 mars 2021 (n°19-12.057), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à se prononcer notamment sur la qualification d’une prime exceptionnelle d’un gérant associé majoritaire que ce dernier s’est arrogé, n’en déplaise à son associé minoritaire qui conteste cette prime et considère en outre avoir été révoqué lors d’une assemblée générale au mépris des règles statutaires et légales de convocation et de majorité méritant selon lui l’annulation de cette assemblée et le rétablissement dans ses fonctions de co-gérant avec tous les attributs y afférents.

S’il a été débouté en tous points par la Haute juridiction, cet arrêt est l’occasion de faire un état des lieux sur le régime applicable au sein d’une SARL « quasi-égalitaire » et la place qu’occupent les statuts dans ce type de société.

En l’espèce, deux frères détiennent respectivement 50,04% et 49,96% de la SARL Fimar située en Guadeloupe et dont ils sont également co-gérants. A la suite d’un conflit, le frère majoritaire a convoqué une assemblée générale en métropole pour révoquer son frère minoritaire de ses fonctions de co-gérant et s’octroyer une « prime exceptionnelle ».

Contestant ces décisions, le frère lésé a assigné tant la société que son frère devenu seul gérant, principalement en annulation de cette assemblée et en rétablissement dans ses fonctions de co-gérant.

La Cour d’appel de Basse-Terre l’a débouté de l’ensemble de ses prétentions, ce qu’est venu confirmer la Cour de cassation en rejetant les trois moyens qu’il a soulevés par son pourvoi.

L’associé minoritaire faisait valoir en un premier moyen que la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard de la règle du Code civil selon laquelle « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ». Selon lui, l’associé majoritaire n’a pas convoqué l’assemblée générale décidant de le révoquer au siège social de la société mais dans un lieu éloigné et dans l’urgence, dans le seul but d’entraver sa participation.

La Cour de cassation, reprenant la règle selon laquelle dans le silence des statuts, le lieu de réunion des assemblées générales d’une société à responsabilité limitée est fixé par l’auteur de la convocation, cette décision ne pouvant être remise en cause que si elle constitue un abus de droit, s’en remet à l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Cour d’appel qui a déduit de la connaissance du majoritaire de la présence de son frère en métropole, l’absence d’un tel abus de droit. La solution aurait sans doute été différente si les statuts prévoyaient expressément le lieu de réunion des assemblées générales.

En un deuxième moyen, faisant une interprétation littérale de l’article des statuts stipulant que « les décisions relatives à la nomination ou à la révocation de la gérance doivent être prises par des associés représentant plus de la moitié des parts sociales, sans que la question puisse faire l’objet d‘une seconde consultation à la simple majorité des votes émis », le requérant considère qu’un associé même majoritaire ne peut, seul, révoquer un co-gérant, la présence d’au moins deux associés étant requise.

La Cour d’appel, suivie par la Cour de cassation qui s’appuie une nouvelle fois sur le pouvoir souverain d’appréciation de la première, ne lui ont pas donné raison à la suite d’une analyse des stipulations statutaires au regard des règles légales des décisions prises en matière de révocation. La Cour d’appel s’est en effet appuyée sur l’article L. 223-25 du Code de commerce énonçant qu’un gérant d’une SARL peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l’article L. 223-29 à moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte, ce dernier article prévoyant que les décisions prises en assemblée sont, sur première convocation, adoptées par « un ou plusieurs associés » représentant plus de la moitié des parts sociales. Fort de cette règle, la Cour de cassation a considéré que l’article des statuts précité était ambigu et approuve la Cour d’appel d’avoir en conséquence souverainement considéré qu’il était « communément admis que la décision de révocation d’un gérant minoritaire associé d’une société à responsabilité limitée, lorsqu’elle ne comporte que deux associés, peut résulter du seul vote de l’associé possédant plus de la moitié des parts sociales ». Selon elles, le terme « des associés » figurant pourtant dans les statuts de la société, devait être compris comme faisant référence de manière générique à « un ou plusieurs associés » ayant pris part au vote et non comme imposant, pour ce vote, la présence des deux associés.

La solution aurait-elle été identique en matière de SAS ? La question mérite d’être posée. En effet, la Cour de cassation s’appuie ici sur les articles L. 223-25 et L. 223-29 du Code de commerce applicables aux SARL pour légitimer l’interprétation faite par la Cour d’appel des statuts de la société : la loi prévoit une dérogation statutaire possible sur la « majorité » à laquelle doit être prise la décision de révoquer un gérant de SARL. Selon elle, le nombre d’associés devant voter la révocation d’un gérant n’entre pas en compte dans la détermination de cette « majorité », sauf peut-être à l’exposer plus clairement au sein des statuts. Or, en matière de SAS, l’article L. 227-9 du Code de commerce, en énonçant que « les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient », laisse beaucoup plus de liberté aux statuts pour déterminer les règles régissant les décisions collectives des associés. Il est toutefois permis de penser que la Cour suprême aurait retenu la même solution, dès lors que l’on comprend bien ici l’esprit des statuts : c’est la majorité des parts sociales qui permet de révoquer un gérant et non le nombre d’associés ayant cette majorité. Considérer le contraire serait revenu à outrepasser cette logique en considérant qu’une telle révocation aurait dû être prise à l’unanimité des parts sociales (ou des associés !).

Enfin, en un troisième moyen, l’associé minoritaire relève que l’associé majoritaire s’est octroyé une prime exceptionnelle à l’occasion de l’assemblée générale, qui au vu de son caractère exceptionnel, ne pouvait être considérée comme une opération courante conclue à des conditions normales, et ce faisant, devait suivre la procédure des conventions réglementées prévue aux articles L. 223-19 et L. 223-20 du Code de commerce, prévoyant que l’associé concerné par une telle convention ne pouvait prendre part au vote. En décidant le contraire, la Cour d’appel aurait selon lui violé ces articles. Sur ce point, la Cour de cassation ne s’attarde même pas sur le caractère courant ou non de la convention, seconde étape d’un raisonnement auquel elle coupe court : selon elle, le moyen soulevé par le requérant est inopérant dès lors que l’allocation d’une prime exceptionnelle à un gérant n’est pas une convention réglementée mais la fixation d’un élément de sa rémunération, permettant à ce dernier de prendre part au vote en assemblée générale.

Il est intéressant de constater encore ici, que la Cour de cassation, tout en rejetant le moyen par un argument qui peut s’affranchir de toute confrontation entre loi et statuts, prend toutefois le soin de préciser que la Cour d’appel a pris cette décision après rappel de la procédure légale des conventions réglementées mais surtout de l’insertion de cette règle au sein des statuts de la société. A lire la réponse de la Haute cour, il est permis de penser que si les statuts avaient prévu qu’un gérant ne puisse participer au vote concernant sa propre rémunération (exceptionnelle ou non), la solution aurait pu être différente (mais l’on voit mal dans ce cas, pourquoi un rappel des règles sur les conventions réglementées était nécessaire).

En tout état de cause, cet arrêt a le mérite de démontrer qu’un co-gérant associé majoritaire d’une SARL dispose de pouvoirs redoutables en cas de conflit avec son associé dès lors que les statuts ne prévoient pas suffisamment de garde-fous (encore faut-il que ces derniers soient autorisés par la loi).

Nous pouvons enfin nous demander dans quelles mesures l’associé minoritaire révoqué de ses fonctions aurait eu intérêt à fonder ses demandes sur l’abus de majorité de son frère. En effet, les conditions[1], bien que difficiles à prouver (ce qui explique sans doute la stratégie choisie), pouvaient, au vu des arguments avancés, être réunies, au moins en ce qui concerne l’octroi d’une prime exceptionnelle. Si un tel abus avait été caractérisé, cela aurait permis à l’associé minoritaire de voir annuler l’assemblée générale, indépendamment de la qualification de la prime exceptionnelle en convention réglementée.

Julien Loth, avocat en M&A – Capital Investissement

[1] Un abus de majorité est caractérisé dès lors qu’une décision est prise par un associé majoritaire en contrariété avec l’intérêt social et dans le seul but de favoriser son intérêt.