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Une décision collective prise en méconnaissance de la répartition des pouvoirs telle que résultant des statuts d’une SAS peut être annulée

Par un arrêt remarqué et publié au bulletin en date du 15 mars 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu une décision relative à la sanction applicable aux décisions collectives prises en violation de statuts de SAS.

En l’espèce, deux sociétés, dont l’une était associée unique d’une SAS, avaient signé en 2004 un protocole d’accord portant notamment sur les modalités d’entrée au capital de ladite SAS par deux autres sociétés dans le cadre d’une augmentation de capital et d’une acquisition d’actions existantes. Dans cette perspective, la SAS avait approuvé l’opération d’apport et l’augmentation de capital subséquente.

Un arrêt irrévocable en date du 24 janvier 2012 a prononcé l’annulation des délibérations susvisées et constaté la caducité du traité d’apport.

Soutenant qu’elle avait été privée de ses droits d’associé depuis le 3 avril 2012, la société cessionnaire a assigné la SAS en annulation de l’ensemble des décisions d’assemblées et de toutes les décisions collectives en résultant depuis lors. Cette demande a été jugée recevable par la cour d’appel de Rennes concernant l’ensemble des décisions prises postérieurement au 19 janvier 2013 (l’action en annulation des décisions antérieures étant prescrite).

La SAS fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir accueilli favorablement la demande de la société cessionnaire et prononcé la nullité des décisions prises en assemblée générale. Elle estime en effet, sur le fondement des articles L. 235-1 et 227-9 du Code de commerce, que cette nullité ne pouvait résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du Code de commerce ou des lois qui régissent les contrats et qu’en conséquence la violation de dispositions statutaires qui fixent dans les SAS les décisions devant être prises collectivement par les associés (en prévoyant notamment les formes et conditions de l’adoption de ces décisions) n’était pas sanctionnée par la nullité.

La Cour de cassation opte pour une autre lecture (inédite) de ces textes et rejette le pourvoi formé par la SAS requérante. Reprenant les dispositions de l’alinéa 1er de l’article L. 227-9 du Code de commerce énonçant que l’organisation et le fonctionnement de la SAS relèvent essentiellement de la liberté statutaire (ce qui inclut les formes et conditions dans lesquelles doivent être prises les décisions d’associés), la Cour rappelle également que le 4ème alinéa de ce même article dispose que les décisions prises en violation du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé.

Si la jurisprudence antérieure s’en tenait à une application stricte de l’article L. 227-9 du Code de commerce, refusant de sanctionner par la nullité les décisions méconnaissant les statuts (en dehors des cas où les statuts aménagent une disposition impérative de la loi), la chambre commerciale a purement et simplement abandonné cette position aux termes de la présente décision. Celle-ci juge désormais que l’article L. 227-9 doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, « lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision », à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation.

Par ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation élargit ainsi considérablement le spectre de la nullité de décisions d’assemblées en SAS lorsque ces décisions prises en violation des statuts sont de nature « à influer sur le résultat du processus de décision ». Il est à noter que les cas de violations susceptibles d’avoir ou non une telle influence ne sont pas clairement établis.

Cette décision ne manque pas de rappeler que l’organisation et le fonctionnement des SAS relèvent essentiellement de la liberté statutaire, ce qui justifie manifestement de garantir leur force obligatoire, tout en préservant la sécurité juridique des parties en choisissant de limiter la nullité à certaines violations substantielles.

Elie Souffan