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COVID-19 et suspension des loyers commerciaux

En cette période de Covid-19, se pose la question du maintien du paiement des loyers des baux commerciaux.

Bien que le président de la République ait indiqué un report possible des loyers, tous les locataires ne sont pas éligibles à cette demande.

C’est ainsi que des dispositions favorables au locataire ont été récemment adoptées aux termes de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 en faveur exclusivement des micro-entreprises.

Peuvent bénéficier des dispositions de ladite ordonnance :

  • les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité créé par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;
  • les entreprises qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

Le décret précisant les critères d’éligibilité au fonds de solidarité n’est pas encore publié, mais selon le dossier de presse publié par le gouvernement le 25 mars dernier, il s’agirait des très petites entreprises TPE réalisant un chiffre d’affaires de moins d’un million d’euros par an ; et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros ; qui ont fait l’objet d’une fermeture administrative et ont subi une perte de 70% de chiffre d’affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019 (pour ceux dont la structure a été créée après mars 2019, le chiffre d’affaires mensuel moyen réalisé depuis la création serait pris en compte dans le calcul).

Ces entreprises restrictivement définies ne peuvent se voir appliquer de sanction financière en cas d’impayés de loyers ou de charges locatives de leurs locaux professionnels ou commerciaux « dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré ».

C’est ainsi que les bailleurs ne pourront leur appliquer aucune pénalité financière ou intérêt de retard, ni formuler aucune demande de dommages-intérêts ou astreinte, ni se prévaloir d’aucune clause résolutoire du bail, ni de clause pénale ou clause prévoyant une déchéance, ni même se retourner contre leurs garanties ou cautions.

Précisons qu’il ne s’agit toutefois que d’un simple report de loyers et charges locatives exigibles sur la période considérée.

 

Qu’en est-il à contrario de la faculté pour les autres entreprises connaissant des difficultés du fait du Covid-19 de suspendre le règlement de leurs loyers et charges locatives ?

Pour tenter de répondre à cette question, il convient de se référer tant au droit commun, qu’aux règles régissant plus spécifiquement les baux commerciaux.

Par un arrêté en date du 14 mars 2020 visant à ralentir la propagation du virus COVID-19, les établissements recevant du public (E.R.P.) ne peuvent plus accueillir de public jusqu’au 15 avril 2020, à l’exception seulement des activités de restaurants et débits de boissons réalisant des ventes à emporter et des livraisons.

En pratique certains commerces seront fermés alors que d’autres verront le maintien d’une activité partielle.

Ces nouvelles dispositions impératives d’ordre public ont inévitablement des conséquences sur les relations contractuelles régissant les bailleur et preneur de locaux commerciaux des fonds concernés, étant notamment rappelé :

Que le bailleur est tenu à l’égard du preneur :

  • D’une obligation de délivrance au preneur de la chose louée pour lui permettre d’exercer l’activité autorisée au bail (article 1719-1° du Code civil);
  • D’une obligation de garantie de jouissance paisible des locaux loués (article 1719-3° du Code civil);

Que le preneur est corrélativement tenu à l’égard du bailleur :

  • D’une obligation d’exploiter l’activité dans les locaux loués (article L. 145-8 du Code de commerce) ;
  • D’une obligation de respect des règles d’hygiène et de sécurité dans l’exercice de son activité (application notamment des mesures barrières préconisées par le gouvernement).

La méconnaissance de ces obligations est susceptible d’être sanctionnée par la résiliation du bail commercial ou par l’exception d’inexécution (article 1220 du Code civil).

 

1/ S’agissant de l’obligation de délivrance/jouissance paisible incombant au bailleur :

Elle ne se posera pas pour les activités qui seront partiellement maintenues dans les lieux loués.

Quant à la cessation totale d’activité dans les lieux loués, la doctrine semble partagée sur l’obligation de délivrance du bailleur dans cette situation inédite.

L’analyse des décisions rendues sous l’angle de l’obligation de délivrance matérialise souvent la recherche par les juridictions d’une faute qui puisse être imputable au bailleur (Pour un exemple récent appliqué aux centres commerciaux : Cass.civ.3 du 23 janvier 2020 n° 18-19051). Au cas considéré, la fermeture de l’exploitation n’est pas liée à une quelconque non-conformité à des normes ou règles d’exploitation en vigueur qui pourraient être mises à la charge du bailleur.

Enfin le bail comporte bien souvent une clause d’exonération de garantie du bailleur pour les troubles de jouissance émanant des tiers.

 

2/ Dispositions de droit commun relatives à la force majeure et à l’imprévision du contrat susceptibles d’être invoquées par le preneur

Les dispositions de droit commun, relatives à :

  • La force majeure (article 1218 du Code civil) ;
  • L’imprévision (Article 1195 du Code civil) ;

semblent à contrario permettre de régir les situations causées par l’état d’urgence sanitaire, étant toutefois précisé que le motif de l’imprévision ne pourra être invoqué que s’agissant des contrats conclus après le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats).

Pour tenter d’invoquer la force majeure, l’ERP devra être en mesure de démontrer :

  • Que l’évènement est extérieur (au cas présent, il échappe bien au contrôle du débiteur) ;
  • Que l’évènement est imprévisible (soit exclusivement pour les contrats conclus avant le 29 février 2020, date de la déclaration officielle de l’épidémie de Covid-19 en France);
  • Que l’évènement est irrésistible ce qui supposera de vérifier au cas par cas le degré d’impact de l’épidémie de Covid-19 sur le contrat et s’agissant de la résolution judiciaire du contrat de pouvoir justifier que l’exécution des obligations contractuelles est irrémédiablement empêchée. 

Quant à l’imprévision, l’ERP devra là encore être en mesure de démontrer l’imprévisibilité du changement de circonstances au moment de la conclusion du contrat, outre la baisse exceptionnelle d’activité subie pour tenter de solliciter auprès de son bailleur la renégociation des conditions du contrat ou – à défaut d’accord – la révision du contrat par le juge, voire la résolution judiciaire du contrat.

Précisons enfin conformément aux dispositions de l’article 1229 alinéa 3 du Code civil (récemment introduit par la réforme des contrats) que dès lors que : « …/…les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. »

Ces dispositions (force majeure/imprévision) ne pourront toutefois être invoquées que pour autant qu’elles ne seront pas expressément écartées par le contrat de bail commercial régissant la relation des parties car il ne s’agit pas de dispositions d’ordre public.

 

3/ Faculté de solliciter des délais par application des dispositions de l’article 1343-5 du Code civil

Pour autant que le preneur n’entende pas solliciter la résiliation du contrat mais se contente de tenter d’obtenir des délais de paiement, il pourra se prévaloir des dispositions de l’article 1343-5 du Code civil pour obtenir auprès du juge (le plus souvent le juge des référés / sinon le tribunal de grande instance) les plus amples délais pour s’acquitter des arriérés de loyers et charges locatives dans la limite toutefois de deux années.

 

Le juge pourra ainsi suspendre avec un effet rétroactif à la date des premières difficultés de paiement les effets de toute clause résolutoire du bail commercial et à n’en pas douter, dans cette période exceptionnelle et vu les préconisations du gouvernement, le juge ne pourra qu’être enclin à accorder les plus amples délais de paiement pour permettre au preneur de régulariser sa situation.

Il conviendra toutefois que le preneur se ménage la preuve des difficultés financières alléguées, au moyen par exemple de la production d’une attestation d’expert-comptable sur la situation de la société ; de justificatifs de la réalité de la baisse sensible de chiffre d’affaires sur la période considérée ; de l’absence de trésorerie disponible suffisante pour permettre de faire face au règlement des loyers et charges courants ;

Le tout afin de démontrer que l’invocation de l’épidémie de Covid-19 ne constitue pas un simple effet d’aubaine dans la période considérée…

 

4/ Report des délais de procédure

Précisons que durant la période d’état d’urgence sanitaire, les juridictions de l’ordre judiciaire ont suspendu toute activité (sauf cas d’extrême urgence).


En outre, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 applicable « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » édicte ce qui suit:

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période précitée ».

L’ordonnance précise enfin qu’elles ne produiront leurs effets qu’à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme.

Il en va de même du cours des astreintes et de l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020, lesquels sont tout autant suspendus durant cette même période.

Il s’ensuit que le bailleur durant toute la période d’état d’urgence sanitaire ne saurait faire courir aucun délai en exécution d’un commandement de payer ou sommation d’exécuter visant la clause résolutoire du bail commercial, ni exercer quelconque action judiciaire pour défaut de paiement des loyers et charges / ou autre à l’encontre du preneur.

Nonobstant les facultés offertes au preneur de solliciter la résiliation judiciaire du bail, ou – faute de sanction – de ne régler que partiellement le montant des loyers et charges locatives, voire d’en suspendre purement et simplement le règlement sauf à justifier de difficultés financières sérieuses directement liées à l’épidémie de Covid-19.

Le preneur sera bien avisé, afin de ménager le maintien de bonnes relations contractuelles avec son bailleur, de prendre l’initiative de se rapprocher directement de son bailleur pour tenter de négocier à l’amiable un échéancier des loyers et charges locatives exigibles, un aménagement des modalités de paiement (A titre d’exemple : mensuel plutôt que trimestriel /échu plutôt que d’avance) voire se faire accorder une suspension temporaire de loyers, sachant que le bailleur devrait être enclin à accepter des concessions dans le contexte actuel et à l’effet de se prémunir de toute suspension totale du règlement des loyers et charges.

Outre la faculté de faire intervenir le juge en application des règles d’imprévision du contrat, gardons en mémoire que le preneur pourra ultérieurement solliciter la fixation du loyer à la valeur locative réelle des locaux donnés à bail commercial, si celle-ci se trouvait revue à la baisse en raison des conséquences économiques faisant suite à l’épidémie de Covid-19.

Précisons à ce titre que le preneur pourra formuler sa demande :

  • Lors de la révision triennale du loyer (ou révision légale) : si la valeur locative varie de plus de 10% et s’il justifie qu’il y a une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité (article L145-37 et 38 du Code de commerce) ;
  • En cas d’indexation annuelle (ou clause d’échelle mobile) : si la variation du loyer excède (en plus ou en moins) 25% par rapport au dernier loyer fixé contractuellement ou judiciairement.

Autant dire qu’il est fort à craindre une explosion des contentieux de baux commerciaux dès après la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré.