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Le pacte d’actionnaires conclu pour la durée de vie de la société ne constitue pas un engagement perpétuel

Par un arrêt en date du 25 janvier 2023, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision relative à la durée des pactes d’actionnaires.

En l’espèce, le 30 janvier 2010 sept associés d’une société par actions simplifiée dont un père et ses cinq enfants avaient conclu un contrat intitulé « pacte d’actionnaires » afin de régir la vie de la société mais également leurs relations à compter du jour où le père associé ne serait plus associé.

Les parties au pacte avaient convenu que ce dernier courrait pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu’à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Il était par ailleurs stipulé qu’au terme de cette première période, le pacte serait automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu’à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie pourrait dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l’avance aux autres parties.

Nonobstant la durée contractuellement prévue, deux associés ont notifié en 2017 leur volonté de résoudre unilatéralement le pacte d’actionnaires, tandis qu’une autre associée a souhaité résilier de façon unilatérale ledit pacte.

Les trois associés concernés par la résolution ou la résiliation du pacte demandaient de prime abord sa nullité au motif qu’une stipulation ayant pour objet d’attribuer un droit éventuel sur tout ou partie d’une succession non ouverte constituait un pacte sur succession future prohibé par la loi. Au cas d’espèce, l’article 5 du pacte énonçait effectivement une disposition relative à un bien futur de la succession du père associé, dans la mesure où il prévoyait les modalités de remboursement de son compte courant d’actionnaire lors de l’ouverture de sa succession.

Sur ce point, la Cour de cassation rappelle qu’aux termes de l’article 722 du Code civil, « les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d’une succession non encore ouverte ou d’un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi ». La Cour précise toutefois que lorsque la nullité en résultant n’affecte qu’une ou plusieurs clauses de l’acte, elle n’emporte sa nullité en son entier que si cette ou ces clauses en constituent une condition essentielle et déterminante.

Ainsi, la cour d’appel ayant justement relevé que le pacte comportait quinze articles (traitant notamment de la stratégie d’entreprise, de la prise de décisions collectives ou encore de la rémunération des mandats sociaux) et fait ressortir que l’article 5 du pacte n’avait été conçu que comme une mesure de gestion de la société au décès du père et qu’il ne constituait donc pas un élément essentiel du pacte d’actionnaires, déterminant de l’engagement des parties, celle-ci en avait bien déduit que la demande de nullité du pacte en son entier devait être rejetée.

S’agissant par ailleurs de la demande de résiliation unilatérale du pacte formulée par une des associés, il était reproché à la cour d’appel d’avoir estimé que le pacte conclu « pour la durée restant à courir de la société » était une durée excessive assimilable à une durée indéterminée et d’en avoir ainsi déduit que la résiliation du pacte avait été régulière.

L’associé contestant cette appréciation estimait à l’inverse qu’ »un pacte d’associés conclu pour la durée de la vie de la société, contribuant ainsi à la stabilité du pacte social » était bien un contrat à durée déterminée et qu’il ne pouvait donc être résilié à tout moment sous peine de violer l’article 1134 alinéa 1er devenu 1103 du Code civil.

Sur ce point, la Cour de cassation rejoint l’argumentaire développé précédemment, casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel et estime qu’il résulte de la combinaison des textes susvisés que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que « les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».

Le pacte d’associés constituant bien souvent le complément des statuts de la société, la possibilité de calquer la durée de l’un sur l’autre ne parait pas dénuée d’intérêt.

Il est à noter que la cour d’appel de Paris avait jugé le 15 décembre 2020 qu’un pacte conclu pour régler les relations contractuelles entre associés pour « la durée de la société » était à durée déterminée et ne pouvait donc pas faire l’objet d’une résolution unilatérale. Au cas d’espèce la solution ne paraissait toutefois pas aussi limpide car il ne s’agissait que d’actionnaires personnes morales.

En définitive, s’agissant d’une question récurrente en la matière, cette solution confortera sans aucun doute les rédacteurs de pactes jusque là confrontés au dilemme de prévoir des durées relativement courtes, au risque d’une renégociation difficilement prévisible au terme du contrat, ou à l’inverse des durées plus longues au risque d’une requalification en engagement perpétuel.

Elie Souffan