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Les SAS protégées contre des associés minoritaires

Par une décision remarquée en date du 19 janvier 2022 (n° 19-12.696), la chambre commerciale de la Cour de cassation estime que les décisions collectives de SAS ne peuvent être adoptées par un vote minoritaire. Ceci pouvait paraitre évident pour certains. Cependant, les associés de SAS bénéficiant d’une grande liberté de rédaction de leurs statuts et la loi disposant notamment que les règles de majorité applicables aux SA (articles L. 225-96 et s. du Code de commerce) ne leurs sont pas applicables, la doctrine a longtemps estimé que la liberté contractuelle offrait la possibilité d’envisager une prise de décisions collectives par une minorité d’associés [1]. Ce faisant, un certain nombre de praticiens rassurés par ces interprétations ont sans doute été encouragés à conseiller à leurs clients d’introduire dans leurs statuts de telles stipulations, afin d’éviter notamment le recours à des actions de préférence [2].

Désormais, il ne fait plus de doute, « les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ».

Au cas d’espèce, une société avait tenu une assemblée générale extraordinaire au cours de laquelle les associés étaient invités à se prononcer sur une décision d’augmentation de capital social. L’article 17 des statuts de la société stipulait que les décisions collectives des associés pouvaient être « adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». La délibération soumise au vote recueillit 229 313 voix « pour », 269 185 voix « contre » et aucune abstention. Le tiers des droits de vote exprimés ayant été atteint, la décision fût donc adoptée.  L’un des associés a assigné la société et ses associés en annulation de la délibération votée et, à titre reconventionnel, en nullité de la clause statutaire susvisée.

Pour fonder sa décision, la Cour de cassation reprend en premier lieu les dispositions de l’article L. 227-9, alinéa 2, du Code de commerce. Ce dernier énonce que les associés de SAS exercent collectivement, dans les conditions prévues par leurs statuts, « les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d’augmentation, d’amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices ».

Complétant ces dispositions, la Cour déclare que si ce texte créé par la loi n°94-1 du 3 janvier 1994 laisse bien une grande liberté aux associés pour déterminer dans leurs statuts la majorité exigée pour adopter des résolutions spécifiques, « cette liberté dans la rédaction trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions soumises à l’examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires ».

Partant de ce constat, la chambre commerciale estime que « les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ».  Il s’ensuit que, nonobstant toute clause statutaire, la décision exprimée par la majorité simple des votes exprimés ne peut être entravée par le vote d’une minorité qualifiée.

Il convient néanmoins de remarquer que la décision a été rendue au seul visa de l’article L. 227-9 du Code de commerce. Sa portée pourrait donc être limitée aux seules décisions énumérées à l’alinéa 2 de cet article et réservées expressément à la collectivité des associés (à savoir : les décisions d’augmentation, d’amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices).

Qu’importe la grande liberté laissée aux associés dans la rédaction de leurs statuts, il s’ensuit que les minoritaires ne peuvent imposer leurs vues aux majoritaires.

Elie Souffan

 

 

[1] L. Godon, La société par actions simplifiée, LGDJ, 2014, n° 427, p. 328. V. égal. Lamy Sociétés commerciales 2021, n° 4256, p. 2062

[2] A. Couret, La force du principe majoritaire, Recueil Dalloz 2022, p. 342