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La nullité d’actions auto-détenues de façon irrégulière par une société n’est pas encourue de plein droit

Par un arrêt de rejet rendu le 12 mai 2021 (n°19-17.566), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à se prononcer notamment sur la régularité d’une cession de ses propres actions par une société à une autre société qui détenait majoritairement son capital et sur la régularité de l’augmentation de capital au sein de la société actionnaire permettant de financer cette acquisition.

En l’espèce, une société anonyme (SA) filiale d’une société par actions simplifiée (SAS) a cédé à cette dernière une partie de ses propres actions plus d’un an après les avoir acquises. Afin de financer cette acquisition, les associés de la SAS ont décidé d’augmenter son capital social.

Dans le cadre de cette augmentation de capital, avec maintien du droit préférentiel de souscription, l’ensemble des associés, à l’exception de quatre, ont renoncé à leur droit préférentiel de souscription au profit d’une société tierce.

Deux de ces quatre associés minoritaires (époux) ont proposé que leurs deux holdings souscrivent à cette augmentation de capital et les ont ainsi présentées pour agrément, conformément aux statuts de la société.

Les autres associés ont refusé l’agrément de ces holding et l’augmentation de capital a effectivement été réalisée au profit de la société tierce, ayant pour conséquence une dilution de plus de 4% des époux.

Mécontents, les époux ont assigné la SAS dont ils sont associés ainsi que les autres associés en annulation de l’augmentation de capital et des assemblées générales approuvant cette augmentation de capital, refusant d’agréer leurs holdings et constatant la réalisation définitive de l’augmentation de capital.

Leur principal argument s’appuyait sur une violation de l’article L. 225-214 du Code de commerce tel qu’applicable au moment des faits. Selon eux, il résulte de cet article que, passé le délai d’un an à compter de leur souscription ou de leur acquisition, les actions possédées en violation des articles L. 225-206 à L. 225-210 du Code de commerce ne peuvent plus être cédées mais doivent obligatoirement être annulées, rendant nécessairement illicite de par son objet toute augmentation de capital permettant de financer cette cession irrégulière.

La Cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, ont rejeté cette argumentation en se fondant sur le raisonnement suivant :

  • Certes, l’article L. 225-214 du Code de commerce prévoyait bien, lors des faits, que « les actions possédées en violation des articles L. 225-206 à L. 225-210 [i.e. les différents cas d’auto-détention d’actions par une société anonyme] doivent être cédées dans un délai d’un an à compter de leur souscription ou de leur acquisition. A l’expiration de ce délai, elles doivent être annulées» ;
  • Pour autant, ce même article ne prévoit pas l’automaticité de l’annulation de ces actions irrégulièrement auto-détenues ;
  • Partant, un vote de l’assemblée générale est nécessaire pour prononcer l’annulation des actions ;
  • Or, aucune décision n’a été prise en ce sens en assemblée générale de la SA ;
  • La cession des actions auto-détenues depuis plus d’un an est donc valable, et l’augmentation de capital litigieuse au sein de la SAS permettant de financer cette cession ne présente aucun objet illicite.

Cette solution s’explique par une interprétation littérale de l’article L. 225-214 du Code de commerce qui, bien qu’imposant l’annulation des actions irrégulièrement auto-détenues, n’en fait pas une sanction automatique. Elle s’explique également par une comparaison avec un autre texte : l’article L. 225-209-2 du Code de commerce qui prévoit l’annulation « de plein droit » des actions rachetées par une société non cotée dans le cadre d’un programme de rachat sans respecter les conditions posées par cet article.

Cette décision peut toutefois sembler étonnante dès lors que l’article L. 225-214 du code de commerce, bien que ne précisant pas le caractère « de plein droit » de la nullité d’actions irrégulièrement auto-détenues par une société, peut être considéré comme ayant un caractère impératif (ces actions « doivent » être annulées). Or, conformément à l’article L. 235-1 alinéa 2 du Code de commerce, la nullité d’un acte autre que modifiant les statuts d’une société ne peut résulter que de la violation d’une disposition « impérative » du Livre II du Code de commerce ou des lois qui régissent les contrats. La Cour de cassation se prononce donc indirectement sur le caractère non impératif de cette disposition.

En conclusion, lorsque les actions irrégulièrement auto-détenues par une SA n’ont fait l’objet d’aucune annulation expresse par l’assemblée générale extraordinaire, seule compétente pour prendre cette décision et réduire corrélativement le capital social, ces actions existent malgré cette « obligation » d’annulation prévue par la loi et peuvent donc faire l’objet d’une cession à un tiers.

Julien Loth